C’est un peu le coup de tonnerre de la journée. Quoi que l’on ait pu s’y attendre, la nouvelle surprend : pas maintenant, pas à la veille de l’IFA, malgré les quelques rumeurs qui entouraient le destin futur de Stephen Elop au sein de Microsoft et les bruits de couloirs évoquant un éventuel rachat du Finlandais. C’est pourtant aujourd’hui officiel : la firme de Redmond rachète Nokia.
Nokia Corporation l’annonce aujourd’hui : la firme cède sa division Devices & Services au géant Microsoft, pour la modique somme de 5,44 milliards d’euros. ”La transaction devrait être finalisée au premier trimestre 2014“, indique le Finlandais, qui doit encore obtenir l’approbation des actionnaires Nokia et régler divers points administratifs. Les activités de Nokia ne cesseront pas pour autant, puisque seule la cession de sa division Mobile est concernée, tandis que l’entreprise poursuivra ses activités dans le domaine des infrastructures télécoms via sa branche Nokia Solutions & Networks (NSN), et continuera à développer les applications cartographiques HERE ou encore des activités de recherche. Microsoft s’offre les smartphones et mobiles Nokia ainsi que son portefeuille de brevets, en somme. Nokia est-il sauvé pour autant ?
Une branche mobile dans la difficulté depuis de nombreux trimestres, et ce malgré un mieux au 2e trimestre 2013, qui avait vu Nokia écouler 7,4 millions de smartphones Lumia, mais pour un revenu en baisse de 24 % sur la même période en comparaison à l’année 2012. Résultat : on avait, il y a quelques mois à peine, envisagé une cession de Nokia au Chinois Huawei, qui compte désormais parmi les acteurs principaux du monde de la mobilité.
Le destin de Nokia devrait ressembler à celui de Motorola Mobility, racheté par Google en 2012 et dont le premier smartphone vient d’être officialisé, la faute à une période de restructuration un peu longue et à des gammes de produits à oublier. Nokia, qui assure à lui seul environ 80 % des ventes de terminaux Windows Phone 8, était déjà presque Microsoft ; aujourd’hui, il passe dans son giron tout en conservant une partie de son identité finlandaise. Steve Ballmer, qui assurait ce matin que l’opération sera “gagnant-gagnant pour les employés, les actionnaires et les clients” de Nokia, et que les 4000 employés de la marque seraient transférés chez Microsoft.
La Finlande (Espoo, le siège de Nokia) devrait se transformer en QG de Microsoft en Europe. C’est d’ailleurs dans ce pays que Redmond vient d’annoncer la création d’un datacenter pour un montant de 288 millions de dollars. Microsoft croit-il en l’Europe ? C’est en effet sur ce marché, accompagné de l’Amérique latine, que Windows Phone 8 réussit sa plus belle percée, avec 8,2 % de parts de marché selon la dernière étude du cabinet Kantar.
Le plus gros rachat de l’année ?
Non. Malheureusement, le rachat de Nokia ne pèse pas tout à fait aussi lourd que le mériterait la firme, d’ailleurs considérée comme sous-évaluée en Bourse depuis plusieurs mois par certains spécialistes financiers. Atteignant 200 milliards d’euros en 1999, la firme n’enregistrait plus qu’une capitalisation boursière d’une dizaine de milliards d’euros en juin dernier.
A titre de comparaison, la transaction annoncée aujourd’hui par Verizon Wireless atteint 130 milliards de dollars, afin de racheter 45 % de ses propres actions détenues jusqu’alors par l’opérateur Vodafone. 130 milliards de dollars pour un opérateur, certes. Si on compare Nokia à un constructeur de smartphones, il faudra peut-être prendre l’exemple de Xiaomi : la firme chinoise, étoile montante de la téléphonie mobile, est actuellement évaluée à 10 milliards de dollars. Elle n’a pourtant été fondée qu’en 2010, et amorce tout juste son offensive à l’international. A son côté, Nokia a malheureusement perdu de sa superbe, et il lui fallait un grand frère de poids pour résister à cette percée chinoise faite de coûts de revient et de commercialisation plus maigres que chez la concurrence. On avait pensé à Android, et pourtant…
Pour Microsoft, la transaction est certainement intéressante du point de vue de Windows Phone 8, sur lequel il aura dès l’an prochain la mainmise du logiciel au hardware en passant par le design. Des économies de production seront certainement à prévoir chez l’Américain, ce qui pourrait conduire à des baisses tarifaires substantielles ; n’oublions pas que Nokia, qui sait faire des terminaux bon marché (le Lumia 625 par exemple) monte à 699 euros pour son plus haut de gamme du moment, le Lumia 1020.
Quant à Steve Ballmer, décrié ces derniers mois (années ?) pour sa gestion de Microsoft, il prendra sa retraite dans les 12 mois à venir. Autant dire que pour cette figure emblématique de Redmond, et si l’opération s’avère aussi fructueuse que prévu, il s’agira d’un départ sur un coup d’éclat que l’on avait vu venir… mais pas aussi rapidement.
L’infographie ci-dessus est truffée d’inexactitudes, mais a le mérite de symboliser l’état des choses : Microsoft a acquis une entreprise sur le déclin…
L’histoire d’un virage pris au ralenti
Nokia aurait pu détenir la place actuelle de Samsung. C’est bien simple, lorsque la marque demande à un parterre de journaliste qui a déjà détenu un Nokia par le passé, presque tout le monde lève la main. En 2000, les accros au jeu Snake se multipliaient dans les transports en commun, sur un 3310 inusable ou mieux, sur son prédécesseur, le 3210. A l’heure de gloire du réseau GSM, on parlait Siemens, on parlait Sagem, on parlait Motorola, mais Nokia faisait figure de leader.
On ne construit pas une société sur la nostalgie de lycéens passés à l’âge adulte. Symbian a fait son temps, les Serie 40 également, et l’avènement d’Android à la fin des années 2000 a signé le début des difficultés chez Nokia. Pour remplacer Olli-Pekka Kallasvuo, 2010 a vu débarquer un ancien de Microsoft en ses rangs, Stephen Elop. Certes critiqué depuis son arrivée en tant que CEO chez la firme finlandaise, l’homme a signé le rapprochement de Nokia avec Redmond, et son engagement absolu envers Windows Phone.
Nokia avait auparavant choisi de miser sur ses Symbian (dont la dernière version en date, Belle, n’a pas fait long feu), lequel a fini par être abandonné, la faute à ses défauts d’ergonomie face à des concurrents misant sur l’expérience utilisateur. Pourtant, les savoir-faire de Nokia sont là, notamment dans le domaine de la navigation (on se rappelle de sa série Navigator il y a quelques années) et même des applications, auparavant disponibles sur l’OVI Store.
Le rapprochement avec Microsoft n’a pas suffi à redresser les finances de Nokia, qui s’appuie sur d’autres branches d’activités dont les recettes décroissent ces derniers mois. D’aucuns avaient espéré pour l’avenir un lancement de smartphone Android signé Nokia, qui aurait mis à profit l’expertise de la marque dans le domaine de la conception et du design, tandis que Nokia a parié sur l’avenir de Windows Phone 7 et 8. Parti de zéro, l’OS atteint environ 8 % de PDM en Europe à ce jour, et Steve Ballmer souhaite, via l’acquisition de Nokia, doubler son poids sur ce marché en un an. Reste à voir la stratégie que les autres partenaires de Microsoft pour Windows Phone 8 (HTC et Huawei notamment) choisiront d’adopter face à cette annonce.
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